Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation
Il n'y a pas de satisfaction qui d'elle-même et comme de son
propre mouvement vienne à nous ; il faut qu'elle soit la satisfaction d'un
désir. Le désir, en effet, la privation, est la condition préliminaire de toute
jouissance. Or avec la satisfaction cesse le désir et par conséquent la
jouissance aussi. Donc la satisfaction, le contentement ne sauraient être
qu'une délivrance à l'égard d'une douleur, d'un besoin ; sous ce nom, il ne
faut pas entendre en effet seulement la souffrance effective, visible, mais
toute espèce de désir qui, par son importunité, trouble notre repos, et même
cet ennui qui tue, qui nous fait de l'existence un fardeau. Or c'est une
entreprise difficile d'obtenir, de conquérir un bien quelconque ; pas d'objet
qui ne soit séparé de nous par des difficultés, des travaux sans fin ; sur la
route, à chaque pas, surgissent des obstacles. Et la conquête une fois faite,
l'objet atteint, qu'a-t-on gagné ? Rien assurément, que de s'être délivré de
quelque souffrance, de quelque désir, d'être revenu à l'état où l'on se
trouvait avant l'apparition de ce désir. Le fait immédiat pour nous, c'est le
besoin tout seul c'est-à-dire la douleur. Pour la satisfaction et la
jouissance, nous ne pouvons les connaître qu'indirectement ; il nous faut faire
appel au souvenir de la souffrance, de la privation passée, qu'elles ont
chassées tout d'abord. Voilà pourquoi les biens, les avantages qui sont
actuellement en notre possession, nous n'en avons pas une vraie conscience,
nous ne les apprécions pas ; il nous semble qu'il n'en pouvait être autrement ;
et, en effet, tout le bonheur qu'ils nous donnent, c'est d'écarter de nous
certaines souffrances. Il faut les perdre pour en sentir le prix ; le manque,
la privation, la douleur, voilà la chose positive, et qui sans
intermédiaire s'offre à nous.
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