Celui qui aime quelqu'un à
cause de sa beauté, l'aime-t-il ? Non; car la petite vérole, qui tuera la
beauté sans tuer la personne, fera qu'il ne l'aimera plus.
Et si on m'aime pour
mon jugement, pour ma mémoire, m'aime-t-on, moi ? Non ; car je puis
perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s'il
n'est ni dans le corps, ni dans l'âme ? Et comment aimer le corps ou l'âme,
sinon pour ces qualités qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu'elles sont
périssables ? Car aimerait-on la substance de l'âme d'une personne
abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait
injuste. On n'aime donc jamais personne, mais seulement des qualités.
Qu'on ne
se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices,
car on n'aime personne que pour des qualités empruntées."
Pascal, Pensées.
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