Tout vouloir procède d’un besoin, c’est-à-dire d’une privation,
c’est-à-dire d’une souffrance. La satisfaction y met fin ; mais pour un désir
satisfait, dix au moins sont contrariés ; de plus le désir est long, et ses
exigences tendent à l’infini ; la satisfaction est courte, et elle est
parcimonieusement mesurée. Mais ce contentement suprême n’est lui- même
qu’apparent : le désir satisfait fait place aussitôt à un nouveau désir ; le
premier est une déception reconnue, le second est une déception non encore
reconnue. La satisfaction d’aucun souhait ne peut procurer de contentement
durable et inaltérable. C’est comme l’aumône qu’on jette à un mendiant : elle
lui sauve aujourd’hui la vie pour prolonger sa misère jusqu’à demain – Tant que
notre conscience est remplie par notre volonté, tant que nous sommes asservis à
l’impulsion du désir, aux espérances et aux craintes continuelles qu’il fait
naître, tant que nous sommes sujets du vouloir, il n’y a pour nous ni bonheur
durable, ni repos. Poursuivre ou fuir, craindre le malheur ou chercher la
jouissance, c’est en réalité tout un : l’inquiétude d’une volonté toujours
exigeante, sous quelque forme qu’elle se manifeste, emplit et trouble sans
cesse la conscience ; or, sans repos le véritable bonheur est impossible.
Schopenhauer
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