Chaque homme possède,
de par sa nature, la lumière innée de la raison, qui, dans ses actes, le guide
vers sa fin. Et s’il convenait à l’homme de vivre solitairement, comme il
convient à beaucoup d’animaux, il n’aurait besoin d’être dirigé par aucun autre
principe directeur vers cette fin, mais chacun serait à soi-même son propre
roi, sous la royauté suprême de Dieu, en tant que, par la lumière de la raison,
qui est un don de Dieu, il se dirigerait lui-même dans ses actes. Mais il est
dans la nature de l’homme d’être un animal social et politique, vivant dans une
multitude, à un degré beaucoup plus fort encore que tous les autres animaux, ce
que montre la nécessité naturelle.
En effet, la nature n
préparé aux autres animaux la nourriture, un vêtement de pelage, des moyens de
défense, comme les dents, les cornes, les griffes, ou, du moins, la rapidité
dans la fuite. L’homme, au contraire, a été créé sans que la nature ne lui
procure rien de tout cela, mais, à la place, la raison lui a été donnée, qui
lui permit de préparer toutes ces choses, par le travail de ses mains: à quoi
un seul homme ne suffit pas. En effet, un seul homme ne pourrait pas, par
lui-même, s’assurer les moyens nécessaires à la vie. Il est donc dans la nature
de l’homme qu’il vive en société.
Bien plus, les autres
animaux possèdent à l’état inné une habileté naturelle à découvrir tout ce qui
leur est utile ou nuisible, comme la brebis sent naturellement que le loup est
son ennemi. Certains animaux connaissent même, grâce à cette habileté
naturelle, certaines plantes médicinales et d’autres choses nécessaires à leur
vie.
Or l’homme a, des
choses qui sont nécessaires à sa vie, une connaissance naturelle qui n’est que
générale, étant capable, par la raison, de parvenir, en partant des principes
universels, à la connaissance des choses particulières qui sont nécessaires à
la vie humaine. Mais il n’est pas possible qu’un seul homme atteigne, par sa
propre raison, à toutes les choses de ce genre. Il est donc nécessaire à
l’homme de vivre en multitude, afin que chacun soit aidé par le prochain, et
que tous s’occupent de découvertes rationnelles diverses, par exemple, l’un en
médecine, l’autre dans tel domaine, un autre dans tel autre.
Saint Thomas d’Aquin,
De Regno, I, 1
« Toute
cité est naturelle, comme le sont les premières communautés qui la constituent.
Car elle est leur fin, et la nature est fin : car ce que chaque chose est, une
fois que sa genèse est complètement achevée, nous disons que c'est la nature de
cette chose, ainsi pour un homme, un cheval, une famille. De plus le " ce
en vue de quoi ", c'est-à-dire la fin, c'est le meilleur ; et l'autarcie
est à la fois la fin et le meilleur.
Nous en
déduisons qu'à l'évidence la cité fait partie des choses naturelles, et que
l'homme est par nature un animal politique ; si bien que celui qui vit hors
cité, naturellement bien sûr et non par le hasard des circonstances, est soit
un être dégradé, soit un être surhumain : il est comme celui qu'Homère injurie
en ces termes : " sans lignage, sans loi, sans foyer " . Car un tel
homme est du même coup passionné de guerre. Il est comme une pièce isolée au
jeu de tric-trac.
L'homme est un animal politique à un plus haut degré
qu'une abeille quelconque ou tout autre animal vivant à l'état grégaire, cela
est évident. La nature, en effet, selon nous, ne fait rien en vain ; et l'homme
seul de tous les animaux, possède la parole. Or, tandis que la voix ne sert
qu'à indiquer la joie et la peine, et appartient pour ce motif aux autres
animaux également (car leur nature va jusqu'à éprouver les sensations de
plaisir et de douleur, et à se les signifier les uns aux autres), le discours
sert à exprimer l'utile et le nuisible, et par suite aussi, le juste et
l'injuste : car c'est le caractère propre de l'homme par rapport aux autres
animaux, d'être le seul à avoir le sentiment du bien et du mal, du juste et de
l'injuste, et des autres notions morales, et c'est la communauté de ces
sentiments qui engendrent famille et cité. »
Aristote, La politique, I
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