mardi 9 avril 2013

Cours du 9 avril : Saint Thomas, De regno


Chap 1
Si donc la nature de l’homme veut qu’il vive en société, il est pareillement nécessaire qu’il y ait parmi les hommes de quoi gouverner la multitude.
En effet, comme les hommes existent nombreux et que chacun pourvoit à ce qui lui convient, chacun irait de son côté, s’il n’y avait quelqu’un pour avoir soin du bien de la multitude. 
Ainsi le corps de l’homme, comme de n’importe quel animal, se désagrégerait, s’il n’y avait dans ce corps une certaine force directrice commune, ordonnée au bien commun de tous les membres.
Cette considération inspire à Salomon la parole suivante dans les Proverbes, chapitre XI, verset 14 : Là où il n’y a pas de gouverneur, le peuple se dissout.
Il n’est pas étonnant qu’il en soit ainsi, car il n’y a pas d’identité entre l’intérêt propre et l’intérêt commun. Les intérêts propres divisent, tandis que l’intérêt commun unit. Aux effets différents répondent des causes différentes. Il faut donc, en plus de ce qui meut au bien propre de chacun, quelque chose qui meuve au bien commun de l’ensemble. 
C’est pourquoi l’on trouve aussi un principe directeur en toutes les choses appelées à former un tout. Dans le monde des corps, en effet un premier corps, le corps céleste, dirige les autres selon un certain ordre de la divine Providence et la créature raisonnable les dirige tous. 
De même, en chaque homme, l’âme gouverne le corps et, entre les parties de l’âme, l’irascible et le concupisciple sont gouvernés par la raison. Entre les membres du corps pareillement, il en est un principal qui meut tout, que ce soit le cœur ou la tête. 
Il faut donc qu’il y ait dans n’importe quelle multitude une direction chargée de régler et de gouverner.

Chap 2
C’est en effet à procurer le salut de ce qu’il a pris la charge de gouverner qu’un gouvernement doit porter son effort. Ainsi le rôle du pilote est de préserver son navire des périls de la mer et de le faire parvenir à bon port sans le moindre dommage.
Or le bien et le salut des hommes agrégés en société est de conserver cette unité [harmonieuse] qu’on appelle paix ; que celle-ci s’éloigne, l’utilité de la vie sociale disparaît ; bien plus, la société désunie devient insupportable à ses membres. Voilà donc à quoi doit par dessus tout s’appliquer le chef de la société : à procurer l’unité qui fait la paix. Ce serait de sa part une erreur de délibérer s’il fera la paix dans la société qui lui est soumise ; erreur toute semblable à celle d’un médecin qui se demanderait s’il doit guérir le malade confié à ses soins. Car personne ne doit délibérer de la fin qu’il doit poursuivre, mais des moyens qui mènent à cette fin. C’est pourquoi l’Apôtre exhorte ainsi le peuple fidèle à l’unité (Épître aux Éphésiens, IV, 3) : Souciez-vous de maintenir l’union spirituelle dans le lien de ta paix.
Aussi, dans la mesure où un gouvernement réussira mieux à maintenir cette paix qui résulte de l’unité, il sera plus utile. Car nous appelons plus utile ce qui conduit plus sûrement à la fin.
Mais il est clair que ce qui est un par soi peut mieux réaliser l’unité que ce qui est composé d’unités. De même, ce qui est chaud par soi est la cause la plus efficace de la chaleur. Le gouvernement d’un seul est donc plus utile que le gouvernement de plusieurs.
De plus, il est très clair que plusieurs individus ne protègent nullement la société s’ils ne s’accordent sur rien. A toute assemblée de chefs en effet on demande d’abord un minimum d’entente qui la mette en état de gouverner si peu que ce soit ; car plusieurs matelots ne remorquent un navire dans une direction donnée que s’ils conjuguent leurs efforts d’une certaine façon.
On ne parle d’union, quand il s’agit de plusieurs choses, que si elles approchent de l’unité. En conséquence, un individu gouverne mieux que plusieurs, qui s’approchent seulement de l’unité.
En outre, les choses naturelles sont les mieux disposées ; car en chaque chose la nature réalise l’œuvre la meilleure. Or communément, le gouvernement naturel est celui d’un seul. Ainsi, dans les parties du corps, il n’y en a qu’une qui meuve toutes les autres, c’est le cœur. Pareillement il n’y a qu’une seule force pour exercer le commandement sur les parties de l’âme, c’est la raison. Les abeilles n’ont qu’une seule reine et tout l’univers n’a qu’un seul Dieu, créateur et gouverneur de toutes choses.

Et rien que de raisonnable en cela, car toute multiplicité dérive de l’unité. C’est pourquoi, si l’art imite la nature et si l’œuvre d’art est d’autant meilleure qu’elle saisit mieux la ressemblance de la nature, il s’ensuit nécessairement ; que le meilleur pour la société humaine, c’est d’être gouvernée par un seul.
Cela ressort encore plus clairement des faits.
Car les provinces ou les cités qui n’ont pas de monarque, souffrent des dissensions et vont à la dérive en s’écartant de plus en plus de la paix ; ainsi se trouve réalisée la plainte que le Seigneur met dans la bouche du prophète Jérémie, XII, 10 : Les pasteurs [parce que] nombreux ont dévasté ma vigne.
Tout au contraire les provinces et les cités qu’un seul roi gouverne se réjouissent dans la paix, s’épanouissent dans la justice et se délectent dans l’abondance. Aussi le Seigneur, par la bouche des prophètes, promet-il à son peuple comme une grande faveur qu’il ne mettra qu’un seul chef à sa tête, qu’il n’y aura qu’un seul prince au milieu d’eux.

Cours du 9 avril : Les pouvoirs chez Aristote



En vue du Bien commun (louable)
En vue d’un bien particulier (blâmable)
Gouvernement d’un seul
Monarchie
Tyrannie
Gouvernement d’un petit nombre
Aristocratie
Oligarchie
Gouvernement du grand nombre
Politeïa (Police)
Démocratie

Cours du 9 avril : l'individualisme et Toqueville


Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation a n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger.

Alexis de Toqueville, De la démoncratie en Amérique, II, 4ème partie, chap. 6

mardi 2 avril 2013

Cours du 2 avril : Aristote, Thomas, l'homme est-il social par nature ?


Chaque homme possède, de par sa nature, la lumière innée de la raison, qui, dans ses actes, le guide vers sa fin. Et s’il convenait à l’homme de vivre solitairement, comme il convient à beaucoup d’animaux, il n’aurait besoin d’être dirigé par aucun autre principe directeur vers cette fin, mais chacun serait à soi-même son propre roi, sous la royauté suprême de Dieu, en tant que, par la lumière de la raison, qui est un don de Dieu, il se dirigerait lui-même dans ses actes. Mais il est dans la nature de l’homme d’être un animal social et politique, vivant dans une multitude, à un degré beaucoup plus fort encore que tous les autres animaux, ce que montre la nécessité naturelle.
En effet, la nature n préparé aux autres animaux la nourriture, un vêtement de pelage, des moyens de défense, comme les dents, les cornes, les griffes, ou, du moins, la rapidité dans la fuite. L’homme, au contraire, a été créé sans que la nature ne lui procure rien de tout cela, mais, à la place, la raison lui a été donnée, qui lui permit de préparer toutes ces choses, par le travail de ses mains: à quoi un seul homme ne suffit pas. En effet, un seul homme ne pourrait pas, par lui-même, s’assurer les moyens nécessaires à la vie. Il est donc dans la nature de l’homme qu’il vive en société.
Bien plus, les autres animaux possèdent à l’état inné une habileté naturelle à découvrir tout ce qui leur est utile ou nuisible, comme la brebis sent naturellement que le loup est son ennemi. Certains animaux connaissent même, grâce à cette habileté naturelle, certaines plantes médicinales et d’autres choses nécessaires à leur vie.
Or l’homme a, des choses qui sont nécessaires à sa vie, une connaissance naturelle qui n’est que générale, étant capable, par la raison, de parvenir, en partant des principes universels, à la connaissance des choses particulières qui sont nécessaires à la vie humaine. Mais il n’est pas possible qu’un seul homme atteigne, par sa propre raison, à toutes les choses de ce genre. Il est donc nécessaire à l’homme de vivre en multitude, afin que chacun soit aidé par le prochain, et que tous s’occupent de découvertes rationnelles diverses, par exemple, l’un en médecine, l’autre dans tel domaine, un autre dans tel autre.
Saint Thomas d’Aquin, De Regno, I, 1

« Toute cité est naturelle, comme le sont les premières communautés qui la constituent. Car elle est leur fin, et la nature est fin : car ce que chaque chose est, une fois que sa genèse est complètement achevée, nous disons que c'est la nature de cette chose, ainsi pour un homme, un cheval, une famille. De plus le " ce en vue de quoi ", c'est-à-dire la fin, c'est le meilleur ; et l'autarcie est à la fois la fin et le meilleur.
  Nous en déduisons qu'à l'évidence la cité fait partie des choses naturelles, et que l'homme est par nature un animal politique ; si bien que celui qui vit hors cité, naturellement bien sûr et non par le hasard des circonstances, est soit un être dégradé, soit un être surhumain : il est comme celui qu'Homère injurie en ces termes : " sans lignage, sans loi, sans foyer " . Car un tel homme est du même coup passionné de guerre. Il est comme une pièce isolée au jeu de tric-trac.
  L'homme est un animal politique à un plus haut degré qu'une abeille quelconque ou tout autre animal vivant à l'état grégaire, cela est évident. La nature, en effet, selon nous, ne fait rien en vain ; et l'homme seul de tous les animaux, possède la parole. Or, tandis que la voix ne sert qu'à indiquer la joie et la peine, et appartient pour ce motif aux autres animaux également (car leur nature va jusqu'à éprouver les sensations de plaisir et de douleur, et à se les signifier les uns aux autres), le discours sert à exprimer l'utile et le nuisible, et par suite aussi, le juste et l'injuste : car c'est le caractère propre de l'homme par rapport aux autres animaux, d'être le seul à avoir le sentiment du bien et du mal, du juste et de l'injuste, et des autres notions morales, et c'est la communauté de ces sentiments qui engendrent famille et cité. »

Aristote, La politique, I

Cours du 2 avril : Rousseau, l'homme est-il social par nature ?


« Celui qui ose entreprendre d’instituer un peuple doit se sentir on état de changer pour ainsi dire la nature humaine, de transformer chaque individu, qui par lui-même est un tout parfait et solitaire, en partie d’un plus grand tout, dont cet individu reçoive en quelque sorte sa vie et son être; d’altérer la constitution de l’homme pour la renforcer; de substituer une existence partielle et morale à l’existence physique et indépendante que nous avons tous1 reçue de la nature. Il faut, en un mot, qu’il ôte à l’homme ses forces propres pour lui en donner qui lui soient étrangères, et dont il ne puisse faire usage sans le secours d’autrui. Plus ces forces naturelles sont mortes et anéanties, plus les acquises sont grandes et durables, plus aussi l’institution est solide et parfaite; en sorte que, si chaque citoyen n’est rien, ne peut rien, que par tous les autres, et que la force acquise par le tout soit égale ou supérieure à la somme des forces naturelles de tous les individus, on peut dire que la législation est au plus haut point de perfection qu’elle puisse atteindre. »
Rousseau, Contrat social, II

« Conscience ! Conscience ! Instinct divin, immortelle et céleste voix ; guide assuré d’un être ignorant et borné, mais intelligent et libre ; juge infaillible du bien et du mal, qui rend l’homme semblable à Dieu, c’est toi qui fait l’excellence de sa nature et la moralité de ses actions. »
Rousseau, Émile ou de l’éducation