mardi 19 mars 2013

SOIREE EXCEPTIONNELLE !


Cours du 19 mars : La liberté, Kant, Sartre et Saint Thomas


"J'entends, par liberté, au sens cosmologique, la faculté de commencer de soi-même un état dont la causalité n'est pas subordonnée à son tour, suivant la loi de la nature, à une autre cause qui la détermine quant au temps"

Kant, Critique de la raison pure


« Dostoïevski avait écrit: "Si Dieu n'existait pas, tout serait permis." C'est là le point de départ de l'existentialisme. En effet, tout est permis si Dieu n'existe pas, et par conséquent l'homme est délaissé, parce qu'il ne trouve ni en lui, ni hors de lui une possibilité de s'accrocher. Il ne trouve d'abord pas d'excuses.
Si, en effet, l'existence précède l'essence, on ne pourra jamais expliquer par référence à une nature humaine donnée et figée; autrement dit, il n'y a pas de déterminisme, l'homme est libre, l'homme est liberté. Si, d'autre part, Dieu n'existe pas, nous ne trouvons pas en face de nous des valeurs ou des ordres qui légitimeront notre conduite. Ainsi, nous n'avons ni derrière nous, ni devant nous, dans le domaine lumineux des valeurs, des justifications ou des excuses. Nous sommes seuls, sans excuses.
C'est ce que j'exprimerai en disant que l'homme est condamné à être libre. Condamné par ce qu'il ne s'est pas crée lui même, et par ailleurs cependant libre, parce qu'une fois jeté dans le monde il est responsable de tout ce qu'il fait. L'existentialisme ne croit pas à la puissance de la passion. Il ne pensera jamais qu'une belle passion est un torrent dévastateur qui conduit fatalement l'homme à certains actes, et qui, par conséquent, est une excuse. Il pense que l'homme est responsable de sa passion. L'existentialisme ne pensera pas non plus que l'homme peut trouver un secours dans un signe donné, sur terre, qui l'orientera; car il pense que l'homme déchiffre lui même le signe comme il lui plaît. Il pense donc que l'homme, sans aucun appui et sans aucun secours, est condamné à chaque instant à inventer l'homme.»

Sartre, L'Existentialisme est un humanisme


De même que l'être coloré en acte est l'objet de la vue, de même le bien est l'objet de la volonté. Si on lui propose un objet qui soit bon universellement et sous tous les rapports, elle tendra vers lui nécessairement - si du moins elle veut quelque chose - car elle ne pourrait vouloir le contraire. Si au contraire on lui propose un objet qui ne soit pas bon à tous les points de vue, elle ne se portera pas vers lui nécessairement. Et parce que le défaut d'un bien quelconque a raison de non-bien, seul le bien parfait et auquel rien ne manque s'imposera nécessairement à la volonté; telle est la béatitude. Tous les autres biens particuliers, parce qu'ils manquent de quelque bien, peuvent être considérés comme n'étant pas bons, et de ce point de vue ils pourront être rejetés ou acceptés par la volonté, qui peut se porter vers une même chose en la considérant sous différents points de vues.

Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IaIIae, q.10, a.2

dimanche 17 mars 2013

Cours du 19 mars : L'acte gratuit, sommet de la liberté ?


« Le train longeait alors un talus, qu’on voyait à travers la vitre, éclairé par cette lumière de chaque compartiment projetée; cela formant une suite de carrés clairs qui dansaient le long de la voie et se déformaient tour à tour selon chaque accident du terrain. On apercevait au milieu de 1’un d’eux, danser 1’ombre falote de Fleurissoire; les autres carrés étaient vides.
« Qui le verrait ? pensait Lafcadio. Là, tout près de ma main, sous ma main, cette double fermeture, que je peux faire jouer aisément; cette porte qui, cédant tout à coup, le laisserait crouler en avant; une petite poussée suffirait; il tomberait dans la nuit comme une masse; même on n’entendrait pas un cri… Et demain, en route pour les îles !… Qui le saurait ? »
La cravate était mise, un petit nœud marin tout fait; à présent Fleurissoire avait repris une manchette et 1’assujettissait au poignet droit; et, ce faisant, il examinait, au-dessus de la place où il était assis tout à 1’heure, la photographie (une des quatre qui décoraient le compartiment) de quelque palais près de la mer.
« Un crime immotivé, continuait Lafcadio : quel embarras pour la police ! Au demeurant, sur ce sacré talus, n’importe qui peut, d’un compartiment voisin, remarquer qu’une portière s’ouvre, et voir 1’ombre du chinois cabrioler. Du moins les rideaux du couloir sont tirés… Ce n’est pas tant des événements que j’ai curiosité, que de soi-même. Tel se croit capable de tout, qui, devant que d’agir, recule… Qu’il y a loin, entre 1’imagination et le fait !… Et pas plus le droit de reprendre son coup qu’aux échecs. Bah ! qui prévoirait tous les risques, le jeu perdrait tout intérêt !… Entre 1’imagination d’un fait et… Tiens ! le talus cesse. Nous sommes sur un pont, je crois; une rivière…»
Sur le fond de la vitre, à présent noire, les reflets apparaissaient plus clairement. Fleurissoire se pencha pour rectifier la position de sa cravate. « Là, sous ma main, cette double fermeture — tandis qu’il est distrait et regarde au loin devant lui — joue, ma foi ! plus aisément encore qu’on eût cru. Si je puis compter jusqu’à douze, sans me presser, avant de voir dans la campagne quelque feu, le tapir est sauvé. Je commence : Une; deux, trois; quatre; (lentement ! lentement !) cinq; six; sept; huit; neuf… Dix, un feu !…
Fleurissoire ne poussa pas un cri. Sous la poussée de Lafcadio et en face du gouffre brusquement ouvert devant lui, il fit pour se retenir un grand geste, sa main gauche agrippa le cadre lisse de la portière, tandis qu’à demi retourné il rejetait la droite loin en arrière par dessus Lafcadio, envoyant rouler sous la banquette, à l’autre extrémité du wagon, la seconde manchette qu’il était au moment de passer. »
André Gide, Les caves du Vatican.