lundi 17 décembre 2012

Soirée du 17 décembre : The Truman show et Descartes



Je supposerai donc qu’il y a, non point un vrai Dieu, qui est la souveraine source de vérité, mais un certain mauvais génie, non moins rusé et trompeur que puissant qui a employé toute son industrie à me tromper. Je penserai que le ciel, l’air, la terre, les couleurs, les figures, les sons et toutes les choses extérieures que nous voyons, ne sont que des illusions et tromperies, dont il se sert pour surprendre ma crédulité. Je me considérerai moi-même comme n’ayant point de mains, point d’yeux, point de chair, point de sang, comme n’ayant aucuns sens, mais croyant faussement avoir toutes ces choses. Je demeurerai obstinément attaché à cette pensée ; et si, par ce moyen, il n’est pas en mon pouvoir de parvenir à la connaissance d’aucune vérité, à tout le moins il est en ma puissance de suspendre mon jugement. C’est pourquoi je prendrai garde soigneusement de ne point recevoir en ma croyance aucune fausseté, et préparerai si bien mon esprit à toutes les ruses de ce grand trompeur, que, pour puissant et rusé qu’il soit, il ne pourra jamais rien imposer.


 Mais ce dessein [celui de fonder une science certaine et assurée] est pénible et laborieux, et une certaine paresse m'entraîne insensiblement dans le train de ma vie ordinaire, et tout de même qu'un esclave qui jouissait dans le sommeil d'une liberté imaginaire, lorsqu'il commence à soupçonner que sa liberté n'est qu'un songe, craint de se réveiller, et conspire avec ces illusions agréables pour en être plus longtemps abusé, ainsi je retombe insensiblement de moi-même dans mes anciennes opinions, et j'appréhende de me réveiller de cet assoupissement, de peur que les veilles laborieuses qui auraient à succéder à la tranquillité de ce repos, au lieu de m'apporter quelque jour et quelque lumière dans la connaissance de la vérité, ne fussent pas suffisantes pour éclaircir toutes les ténèbres des difficultés qui viennent d'être agitées.


Descartes, Méditations métaphysiques, Première méditation.

mardi 11 décembre 2012

Cours du 11 décembre : Le texte de Descartes


Tous les mouvements que nous faisons sans que notre volonté y contribue (comme il arrive souvent que nous respirons, que nous marchons, que nous mangeons, et enfin que nous faisons toutes les actions qui nous sont communes avec les bêtes) ne dépendent que de la conformation de nos membres et du cours que les esprits excités par la chaleur du cœur, suivent naturellement dans le cerveau, dans les nerfs et dans les muscles, en même façon que le mouvement d'une montre est produit par la seule force de son ressort et la figure de ses roues.

Descartes, Les Passions de l'Âme.


Ceux qui, sachant combien de divers automates, ou machines mouvantes, l'industrie des hommes peut faire, sans y employer que fort peu de pièces, à comparaison de la grande multitude des os, des muscles, des nerfs, des artères, des veines, et de toutes les autres parties qui sont dans le corps de chaque animal, considéreront ce corps comme une machine qui, ayant été faite des mains de Dieu, est incomparablement mieux ordonnée et a en soi des mouvements plus admirables qu'aucune de celles qui peuvent être inventées par les hommes.
Et je m'étais ici particulièrement arrêté à faire voir que, s'il y avait de telles machines qui eussent les organes et la figure extérieurs d'un singe ou de quelque autre animal sans raison, nous n'aurions aucun moyen pour reconnaître qu'elles ne seraient pas en tout de même nature que ces animaux
Descartes, Discours de la Méthode.

mardi 20 novembre 2012

Cours du 20 novembre : La réminiscence selon Platon


MENON : A merveille. (s'adressant à un esclave) : Approche.
SOCRATE : Est-il Grec ? Sait-il le grec ? MENON : Parfaitement; il est né chez moi.
SOCRATE : Fais attention: vois s'il a l'air de se souvenir, ou d'apprendre de moi.
MENON : J'y ferai attention.
SOCRA TE (à l'esclave) : Dis-moi, mon ami, sais-tu que cet espace est carré ? Socrate trace sur le sol les figures nécessaires à sa démonstration.
L'ESCLAVE : Oui.
SOCRATE : Et que, dans un espace carré, les quatre lignes que voici sont égales ?
L'ESCLAVE : Sans doute.
SOCRATE : Et que ces lignes-ci, qui le traversent par le milieu, sont égales aussi ?
L ESCLAVE : Oui.
SOCRATE : Un espace de ce genre peut-il être ou plus grand ou plus petit?
L'ESCLAVE : Certainement.
SOCRATE : Si on donnait à ce côté deux pieds de long et à cet autre également deux, quelle serait la dimension du tout ? Examine la chose comme ceci : s'il y avait, de ce côté, deux pieds et, de cet autre, un seul, n'est-il pas vrai que l'espace serait d'une fois deux pieds ?
L'ESCLAVE : Oui.
SOCRATE : Mais du moment qu'on a pour le second côté aussi deux pieds, cela ne fait- il pas deux fois deux ?
L ESCLAVE : En effet.
SOCRATE : L'espace est donc alors de deux fois deux pieds ?
L'ESCLAVE : Oui.
SOCRATE : Combien font deux fois deux pieds ? Fais le calcul et dis-le moi.
L'ESCLAVE. - Quatre, Socrate.
SOCRATE : Ne pourrait-on avoir un autre espace double de celui-ci, mais semblable, et ayant aussi toutes ses lignes égales ?
L'ESCLAVE : Oui.
SOCRATE : Combien aurait-il de pieds ? L' ESCLAVE : Huit.
SOCRATE : Bien, essaie de me dire quelle serait la longueur de chaque ligne dans ce nouvel espace. Dans celui-ci, la ligne a deux pieds ; combien en aurait-elle dans le second, qui serait double?
L'ESCLA VE : Il est évident, Socrate, qu'elle en aurait le double.
SOCRATE : Tu vois, Ménon, que je ne lui enseigne rien: sur tout cela, je me borne à l'interroger. En ce moment, il croit savoir quelle est la longueur du coté qui donnerait un carré de huit pieds. Es-tu de mon avis ?
MENON : Oui.
SOCRATE : S'ensuit-il qu'il le sache?
MENON : Non certes;
SOCRATE : Il croit que ce côté serait double du précèdent?
MENON : Oui.
SOCRA TE : Mais vois maintenant comme il va se ressouvenir d'une manière correcte.(A l'esclave) Réponds-moi: Tu dis qu'une ligne double donne naissance à une surface deux fois plus grande ? Comprends- moi bien. Je ne parle pas d'une surface longue d'un côté, courte de l'autre; je cherche une surface comme celle-ci égale dans tous les sens, mais qui ait une étendue double, soit de huit pieds. Vois si tu crois encore qu'elle résultera du doublement de la ligne ?
L'ESCLAVE : Je le crois.
SOCRATE : Cette ligne que tu vois sera-t- elle doublée si nous en ajoutons en partant d'ici une autre d'égale longueur?
L'ESCLAVE : Sans doute.
2
SOCRATE : C'est donc sur cette nouvelle ligne que sera construite la surface de huit pieds si nous traçons quatre lignes pareilles ?
L'ESCLAVE : Oui.
SOCRATE : Traçons les quatre lignes sur le modèle de celle-ci. Voilà bien la surface que tu dis être de huit pieds ?
L'ESCLAVE : Certainement.
SOCRATE : Est-ce que, dans notre nouvel espace, il n'y a pas les quatre que voici, dont chacun est égal au premier, à celui de quatre pieds?
L'ESCLAVE : Oui.
SOCRATE : Quelle est donc, d'après cela, l'étendue du dernier ? N'est-il pas quatre fois plus grand ?
L'ESCLAVE : Nécessairement.
SOCRATE : .Une chose quatre fois plus grande qu'une autre en est-elle donc le double ?
L'ESCLAVE : Non, par Zeus ! SOCRATE : Qu'est-elle alors ? L'ESCLAVE : Le quadruple.
SOCRATE : Ainsi, en doublant la ligne, ce n'est pas une surface double que tu obtiens, c'est une surface quadruple.
L'ESCLAVE : C est vrai.
SOCRATE : Quatre fois quatre font seize, n'est-ce pas ?
L'ESCLAVE : Oui.
SOCRA TE : A vec quelle ligne obtiendrons- nous donc une surface de huit pieds? Celle- ci ne nous donne-t-elle pas une surface quadruple de la première ?
L'ESCLAVE : Oui.
SOCRATE : Et cette ligne-ci moitié moins longue nous donne quatre pieds. de superficie ?
L'ESCLAVE : Oui.
3
SOCRATE : Soit ! La surface de huit pieds n'est-elle pas le double de celle-ci, qui est de quatre, et la moitié de l'autre, qui est de seize?
L'ESCLAVE : Certainement.
SOCRATE : Il nous faut donc une ligne plus courte que celle-ci et plus longue que celle-là.
L'ESCLAVE : Je le crois.
SOCRA TE : Parfait; réponds-moi selon ce que tu crois. Mais dis-moi: notre première ligne n'avait-elle pas deux pieds et la seconde quatre?
L'ESCLAVE : Oui.
SOCRATE : Pour l'espace de huit pieds, il faut donc une ligne plus longue que celle-ci, qui est de deux pieds, mais plus courte que celle-là, qui est de quatre.
L'ESCLAVE : Oui.
SOCRATE : Essaie de me dire quelle longueur tu lui donnes.
L'ESCLAVE : Trois pieds.
SOCRATE : Pour qu'elle ait trois pieds de long, nous n'avons qu'à ajouter à celle-ci la moitié de sa longueur : ce qui fait ici deux pieds plus un pied.. Puis, à partir de là, encore deux pieds plus un pied. Nous obtenons le carré que tu demandais.
L'ESCLAVE : Oui.
SOCRATE : Mais si l'espace a trois pied. de long et trois pieds de large, la superficie n'en sera-t-elle pas de trois fois trois pieds?
L'ESCLAVE : Je le pense.
SOCRATE : Or combien font trois fois trois pieds ?
L'ESCLAVE : Neuf.
SOCRATE : Mais pour que la surface fût double de la première, combien de pieds devait-elle avoir?
L'ESCLAVE : Huit.
SOCRATE : Ce n'est donc pas encore la
ligne de trois pieds qui nous donne la surface de huit.
L'ESCLAVE : Évidemment non.
SOCRATE : Laquelle est-ce ? Tache de me le dire exactement, et si tu aimes mieux ne pas faire de calculs, montre la nous.
L'ESCLAVE : Mais par Zeus, Socrate, je n'en sais rien.
SOCRATE : Vois-tu, Ménon, encore une fois, quelle distance il a déjà parcourue dans la voie de la réminiscence? Songe que d'abord, sans savoir quel est le côté du carré de huit pieds, ce qu'il ignore d'ailleurs encore, il croyait pourtant le savoir et répondait avec assurance en homme qui sait, n'ayant aucun sentiment de la difficulté. Maintenant, il a conscience de son embarras, et, s'il ne sait pas, du moins il ne croit pas savoir .

Platon, Ménon

Cours du 20 novembre : Le texte de Platon

La démarche consistant à examiner une chose au moyen de la vue est toute remplie d'illusions et remplie d'illusions aussi celle qui se sert des oreilles ou de n'importe quel autre sens ; elle persuade l'âme de prendre ses distances, dans la mesure où il n'est pas absolument indispensable de recourir aux sens.

Platon, Phédon