mardi 12 février 2013

Cours du 12 février : La justice et le droit. La conscience dit-elle le bien ?

« Conscience ! Conscience ! Instinct divin, immortelle et céleste voix ; guide assuré d’un être ignorant et borné, mais intelligent et libre ; juge infaillible du bien et du mal, qui rend l’homme semblable à Dieu, c’est toi qui fait l’excellence de sa nature et la moralité de ses actions. »

Rousseau, Émile ou de l’éducation.

Cours du 12 février : La justice et le droit. Le droit naturel existe-t-il ?


CRÉON (à Antigone)
Et toi, maintenant réponds en peu de mots. Connaissais-tu l'interdiction que j'avais fait proclamer ?

ANTIGONE
Comment ne l'aurais-je pas connue ? Elle était publique.

CRÉON
Et tu as osé passer outre à mon ordonnance ?

ANTIGONE
Oui, car ce n'est pas Zeus qui l'a promulguée, et la Justice qui siège auprès des dieux de sous terre n'en a point tracé de telles parmi les hommes. Je ne croyais pas, certes, que tes édits eussent tant de pouvoir qu'ils permissent à un mortel de violer les lois divines : lois non écrites celles-là, mais intangibles. Ce n'est pas d'aujourd'hui ni d'hier, c'est depuis l'origine qu'elles sont en vigueur, personne ne les a vues naître. Leur désobéir, n'était-ce ¬point, par un lâche respect pour l'autorité d'un homme encourir la rigueur des dieux ? Je savais bien que je mourrais ; c'était inévitable - et même sans ton édit ! Si je péris avant le temps, je regarde la mort comme un bienfait. Quand on vit au milieu des maux, comment n'aurait-on pas avantage à mourir ? Non, le sort qui m'attend n'a rien qui me tourmente. Si j'avais dû laisser sans sépulture un corps que ma mère a mis au monde, je ne m'en serais jamais consolée ; maintenant, je ne me tourmente plus de rien. Si tu estimes que je me conduis comme une folle, peut-être n'as-tu rien à m'envier sur l'article de la folie !

Sophocle, Antigone, Ier épisode, scène 3





Débat du 12 février : Le vol de Jean Valjean


Il gagnait dans la saison de l’émondage dix-huit sous par jour, puis il se louait comme moissonneur, comme manœuvre, comme garçon de ferme bouvier, comme homme de peine. Il faisait ce qu’il pouvait. Sa sœur travaillait de son côté, mais que faire avec sept petits enfants ? C’était un triste groupe que la misère enveloppa et étreignit peu à peu. Il arriva qu’un hiver fut rude. Jean n’eut pas d’ouvrage. La famille n’eut pas de pain. Pas de pain. À la lettre. Sept enfants.
Un dimanche soir, Maubert Isabeau, boulanger sur la place de l’Église, à Faverolles, se disposait à se coucher, lorsqu’il entendit un coup violent dans la devanture grillée et vitrée de sa boutique. Il arriva à temps pour voir un bras passé à travers un trou fait d’un coup de poing dans la grille et dans la vitre. Le bras saisit un pain et l’emporta. Isabeau sortit en hâte ; le voleur s’enfuyait à toutes jambes ; Isabeau courut après lui et l’arrêta. Le voleur avait jeté le pain, mais il avait encore le bras ensanglanté. C’était Jean Valjean.
Ceci se passait en 1795. Jean Valjean fut traduit devant les tribunaux du temps « pour vol avec effraction la nuit dans une maison habitée ».

Victor Hugo, Les misérables, I, II, 6.

Débat du 12 février : Le vol est-il toujours une faute morale ?


Saint Thomas d'Aquin, Somme théologique

Les biens extérieurs peuvent être envisagés sous un double aspect. D'abord quant à leur nature, qui n'est pas soumise au pouvoir de l'homme mais de Dieu seul, à qui tout obéit docilement. Puis quant à leur usage; sous ce rapport l'homme a un domaine naturel sur ces biens extérieurs, car par la raison et la volonté il peut s'en servir pour son utilité, comme étant faits pour lui. On a démontré plus haut, en effet, que les êtres imparfaits existent pour les plus parfaits. C'est ce principe qui permet à Aristote de prouvera que la possession des biens extérieurs est naturelle à l'homme.

IIa, IIae, q.66, art.1


La définition du vol comporte trois éléments. Le premier est son opposition à la justice, qui attribue à chacun ce qui lui appartient; de ce chef le vol est l'usurpation du bien d'autrui. Le deuxième élément distingue le vol des péchés contre les personnes, comme l'homicide et l'adultère. A ce titre le vol s'attaque aux biens possédés par autrui. En effet, prendre à quelqu'un, non ce qui lui appartient comme sa possession, mais ce qui est comme une partie de lui-même, ainsi lui enlever un membre, ou une personne qui lui est unie, sa fille ou son épouse par exemple, ce n'est pas à proprement parler un vol. Enfin le troisième élément qui achève la notion de vol, est de s'emparer du bien d'autrui en secret. Le vol est donc rigoureusement défini: « L'usurpation secrète du bien d'autrui.

IIa, IIae, q.66, art.3

En considérant la notion de vol, on peut y découvrir deux raisons de péché. D'abord son opposition à la justice, qui rend à chacun ce qui lui est dû. Et ainsi le vol s'oppose à la justice parce qu'il consiste à prendre le bien d'autrui. De plus il est entaché de tromperie ou de fraude, puisque le voleur agit en secret et comme par stratagème en usurpant ce qui appartient à autrui. Il est donc manifeste que tout vol est un péché.

IIa, IIae, q.66, art. 5

Dans la nécessité tous les biens sont communs. Il n'y a donc pas péché si quelqu'un prend le bien d'autrui, puisque la nécessité en a fait pour lui un bien commun.
Ce qui est de droit humain ne saurait déroger au droit naturel ou au droit divin. Or, selon l'ordre naturel établi par la providence divine, les être inférieurs sont destinés à subvenir aux nécessités de l'homme. C'est pourquoi leur division et leur appropriation, oeuvre du droit humain, n'empêchent pas de s'en servir pour subvenir aux nécessités de l'homme. Voilà pourquoi les biens que certains possèdent en surabondance sont dus, de droit naturel, à l'alimentation des pauvres; ce qui fait dire à S. Ambroise et ses paroles sont reproduites dans les Décrets: « C'est le pain des affamés que tu détiens; c'est le vêtement de ceux qui sont nus que tu renfermes; ton argent, c'est le rachat et la délivrance des miséreux, et tu l'enfouis dans la terre. »
Toutefois, comme il y a beaucoup de miséreux et qu'une fortune privée ne peut venir au secours de tous, c'est à l'initiative de chacun qu'est laissé le soin de disposer de ses biens de manière à venir au secours des pauvres. Si cependant la nécessité est tellement urgente et évidente que manifestement il faille secourir ce besoin pressant avec les biens que l'on rencontre - par exemple, lorsqu'un péril menace une personne et qu'on ne peut autrement la sauver -, alors quelqu'un peut licitement subvenir à sa propre nécessité avec le bien d'autrui, repris ouvertement ou en secret. Il n'y a là ni vol ni rapine à proprement parler.
IIa, IIae, q.66, art.7

mardi 5 février 2013

Cours du 5 février : Le mensonge est-il une faute morale ?


Une chose mauvaise par nature ne peut jamais être bonne et licite; parce que, pour qu'elle soit bonne, il est nécessaire que tous les éléments y concourent; en effet, « le bien est produit par une cause parfaite, tandis que le mal résulte de n'importe quel défaut » selon Denys. Or, le mensonge est mauvais par nature; c'est un acte dont la matière n'est pas ce qu'elle devrait être; puisque les mots sont les signes naturels des pensées, il est contre nature et illégitime qu'on leur fasse signifier ce qu'on ne pense pas. Aussi Aristote dit-il que « le mensonge est par lui-même mauvais et haïssable, tandis que le vrai est bon et louable. (…) Le mensonge a raison de péché non seulement à cause du tort fait au prochain, mais à cause de désordre qui lui est essentiel, on vient de le dire. Or, il n'est jamais permis d'employer un moyen désordonné, donc défendu, dans l'intérêt du prochain, par exemple de voler pour faire l'aumône (excepté dans un cas de nécessité où toutes choses deviennent communes). Il n'est donc jamais permis de dire un mensonge pour soustraire quelqu'un à n'importe quel danger; quoiqu'il soit permis de dissimuler prudemment la vérité, dit S. Augustin.

Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa, IIae, q.110, a.4