mardi 20 novembre 2012

Cours du 20 novembre : La réminiscence selon Platon


MENON : A merveille. (s'adressant à un esclave) : Approche.
SOCRATE : Est-il Grec ? Sait-il le grec ? MENON : Parfaitement; il est né chez moi.
SOCRATE : Fais attention: vois s'il a l'air de se souvenir, ou d'apprendre de moi.
MENON : J'y ferai attention.
SOCRA TE (à l'esclave) : Dis-moi, mon ami, sais-tu que cet espace est carré ? Socrate trace sur le sol les figures nécessaires à sa démonstration.
L'ESCLAVE : Oui.
SOCRATE : Et que, dans un espace carré, les quatre lignes que voici sont égales ?
L'ESCLAVE : Sans doute.
SOCRATE : Et que ces lignes-ci, qui le traversent par le milieu, sont égales aussi ?
L ESCLAVE : Oui.
SOCRATE : Un espace de ce genre peut-il être ou plus grand ou plus petit?
L'ESCLAVE : Certainement.
SOCRATE : Si on donnait à ce côté deux pieds de long et à cet autre également deux, quelle serait la dimension du tout ? Examine la chose comme ceci : s'il y avait, de ce côté, deux pieds et, de cet autre, un seul, n'est-il pas vrai que l'espace serait d'une fois deux pieds ?
L'ESCLAVE : Oui.
SOCRATE : Mais du moment qu'on a pour le second côté aussi deux pieds, cela ne fait- il pas deux fois deux ?
L ESCLAVE : En effet.
SOCRATE : L'espace est donc alors de deux fois deux pieds ?
L'ESCLAVE : Oui.
SOCRATE : Combien font deux fois deux pieds ? Fais le calcul et dis-le moi.
L'ESCLAVE. - Quatre, Socrate.
SOCRATE : Ne pourrait-on avoir un autre espace double de celui-ci, mais semblable, et ayant aussi toutes ses lignes égales ?
L'ESCLAVE : Oui.
SOCRATE : Combien aurait-il de pieds ? L' ESCLAVE : Huit.
SOCRATE : Bien, essaie de me dire quelle serait la longueur de chaque ligne dans ce nouvel espace. Dans celui-ci, la ligne a deux pieds ; combien en aurait-elle dans le second, qui serait double?
L'ESCLA VE : Il est évident, Socrate, qu'elle en aurait le double.
SOCRATE : Tu vois, Ménon, que je ne lui enseigne rien: sur tout cela, je me borne à l'interroger. En ce moment, il croit savoir quelle est la longueur du coté qui donnerait un carré de huit pieds. Es-tu de mon avis ?
MENON : Oui.
SOCRATE : S'ensuit-il qu'il le sache?
MENON : Non certes;
SOCRATE : Il croit que ce côté serait double du précèdent?
MENON : Oui.
SOCRA TE : Mais vois maintenant comme il va se ressouvenir d'une manière correcte.(A l'esclave) Réponds-moi: Tu dis qu'une ligne double donne naissance à une surface deux fois plus grande ? Comprends- moi bien. Je ne parle pas d'une surface longue d'un côté, courte de l'autre; je cherche une surface comme celle-ci égale dans tous les sens, mais qui ait une étendue double, soit de huit pieds. Vois si tu crois encore qu'elle résultera du doublement de la ligne ?
L'ESCLAVE : Je le crois.
SOCRATE : Cette ligne que tu vois sera-t- elle doublée si nous en ajoutons en partant d'ici une autre d'égale longueur?
L'ESCLAVE : Sans doute.
2
SOCRATE : C'est donc sur cette nouvelle ligne que sera construite la surface de huit pieds si nous traçons quatre lignes pareilles ?
L'ESCLAVE : Oui.
SOCRATE : Traçons les quatre lignes sur le modèle de celle-ci. Voilà bien la surface que tu dis être de huit pieds ?
L'ESCLAVE : Certainement.
SOCRATE : Est-ce que, dans notre nouvel espace, il n'y a pas les quatre que voici, dont chacun est égal au premier, à celui de quatre pieds?
L'ESCLAVE : Oui.
SOCRATE : Quelle est donc, d'après cela, l'étendue du dernier ? N'est-il pas quatre fois plus grand ?
L'ESCLAVE : Nécessairement.
SOCRATE : .Une chose quatre fois plus grande qu'une autre en est-elle donc le double ?
L'ESCLAVE : Non, par Zeus ! SOCRATE : Qu'est-elle alors ? L'ESCLAVE : Le quadruple.
SOCRATE : Ainsi, en doublant la ligne, ce n'est pas une surface double que tu obtiens, c'est une surface quadruple.
L'ESCLAVE : C est vrai.
SOCRATE : Quatre fois quatre font seize, n'est-ce pas ?
L'ESCLAVE : Oui.
SOCRA TE : A vec quelle ligne obtiendrons- nous donc une surface de huit pieds? Celle- ci ne nous donne-t-elle pas une surface quadruple de la première ?
L'ESCLAVE : Oui.
SOCRATE : Et cette ligne-ci moitié moins longue nous donne quatre pieds. de superficie ?
L'ESCLAVE : Oui.
3
SOCRATE : Soit ! La surface de huit pieds n'est-elle pas le double de celle-ci, qui est de quatre, et la moitié de l'autre, qui est de seize?
L'ESCLAVE : Certainement.
SOCRATE : Il nous faut donc une ligne plus courte que celle-ci et plus longue que celle-là.
L'ESCLAVE : Je le crois.
SOCRA TE : Parfait; réponds-moi selon ce que tu crois. Mais dis-moi: notre première ligne n'avait-elle pas deux pieds et la seconde quatre?
L'ESCLAVE : Oui.
SOCRATE : Pour l'espace de huit pieds, il faut donc une ligne plus longue que celle-ci, qui est de deux pieds, mais plus courte que celle-là, qui est de quatre.
L'ESCLAVE : Oui.
SOCRATE : Essaie de me dire quelle longueur tu lui donnes.
L'ESCLAVE : Trois pieds.
SOCRATE : Pour qu'elle ait trois pieds de long, nous n'avons qu'à ajouter à celle-ci la moitié de sa longueur : ce qui fait ici deux pieds plus un pied.. Puis, à partir de là, encore deux pieds plus un pied. Nous obtenons le carré que tu demandais.
L'ESCLAVE : Oui.
SOCRATE : Mais si l'espace a trois pied. de long et trois pieds de large, la superficie n'en sera-t-elle pas de trois fois trois pieds?
L'ESCLAVE : Je le pense.
SOCRATE : Or combien font trois fois trois pieds ?
L'ESCLAVE : Neuf.
SOCRATE : Mais pour que la surface fût double de la première, combien de pieds devait-elle avoir?
L'ESCLAVE : Huit.
SOCRATE : Ce n'est donc pas encore la
ligne de trois pieds qui nous donne la surface de huit.
L'ESCLAVE : Évidemment non.
SOCRATE : Laquelle est-ce ? Tache de me le dire exactement, et si tu aimes mieux ne pas faire de calculs, montre la nous.
L'ESCLAVE : Mais par Zeus, Socrate, je n'en sais rien.
SOCRATE : Vois-tu, Ménon, encore une fois, quelle distance il a déjà parcourue dans la voie de la réminiscence? Songe que d'abord, sans savoir quel est le côté du carré de huit pieds, ce qu'il ignore d'ailleurs encore, il croyait pourtant le savoir et répondait avec assurance en homme qui sait, n'ayant aucun sentiment de la difficulté. Maintenant, il a conscience de son embarras, et, s'il ne sait pas, du moins il ne croit pas savoir .

Platon, Ménon

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