Je vois cette cerise, je la touche, je la
goûte, je suis sûr que le néant ne peut être vu, touché ou goûté : la
cerise est donc réelle. Enlevez les sensations de souplesse, d’humidité, de
rougeur, d’acidité et vous enlevez la cerise, puisqu’elle n’existe pas à part
des sensations. Une cerise, dis-je, n’est rien qu’un assemblage de qualités
sensibles et d’idées perçues par divers sens : ces idées sont unies en une
seule chose (on leur donne un seul nom) par l’intelligence parce que celle-ci
remarque qu’elles s’accompagnent les unes les autres. Ainsi quand le palais est
affecté de telle saveur particulière, la vue est affectée d’une couleur rouge
et le toucher d’une rondeur et d’une souplesse, etc. Aussi quand je vois,
touche et goûte de ces diverses manières, je suis sûr que la cerise existe,
qu’elle est réelle : car, à mon avis, sa réalité n’est rien si on
l’abstrait de ces sensations. Mais si par le mot cerise vous entendez une
nature inconnue, distincte, quelque chose de distinct de la perception qu’on en
a, alors certes, je le déclare, ni vous, ni moi, ni aucun homme, nous ne
pouvons être sûrs de son existence.
Berkeley, Trois dialogues entre Hylas et
Philonous, Troisième dialogue.
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